Les carnets de PiPhie

 
Les Piliers de la Terre, Ken Follett, aux éditions Le Livre de Poche, 1050 pages


La nuit du 25 novembre 1120, le Vaisseau Blanc appareilla à destination de l'Angleterre et sombra corps et biens au large de Barfleur. Il n'y eut qu'un seul survivant, cramponné à un bout de mât, qui réussit à atteindre le rivage. Pourtant, le vaisseau représentait le dernier cri en matière de transport maritime et il était muni des plus récents perfectionnements connus de la construction navale de l'époque. Si l'on a beaucoup parlé de ce naufrage, c'est en raison du grand nombre de personnalités qui se trouvaient à bord, et en particulier Guillaume, le seul fils légitime du roi Henry 1er d'Angleterre et donc héritier présomptif du trône. Parmi les autres victimes se trouvaient aussi deux bâtards de sang royal, un grand nombre de comtes et barons et presque toute la maison du roi. Cela eut pour conséquence historique de laisser Henry sans héritier mâle et cela provoqua la guerre de succession et la période d'anarchie qui suivront la mort d'Henry. Celui-ci avait en effet désigné sa fille Maud, soeur aînée de Guillaume, comme héritière, tout en la mariant au comte Geoffroy V d'Anjou. Mais son neveu Stephen entend bien hériter du trône, s'appuyant sur une partie de la cour qui refuse la candidature d'une femme à la tête du pays.

C'est sur ce fond historique que se déroule l'intrigue des Piliers de la Terre. Elle commence par un prologue qui raconte, lors de l'hiver 1123, dans un village anglais, la pendaison d'un jeune homme aux cheveux roux et au visage pâle, accusé d'avoir volé un objet de grande valeur, un calice orné de joyaux. L'exécution semble avoir été orchestrée par un chevalier, un gros homme aux cheveux jaunes monté sur un couteux destrier, un vieux moine avachi et un jeune prêtre au nez pointu, aux cheveux noirs et plats, à l'air vif et dangereux. Alors qu'on lui avait passé la corde au cou, le prisonnier se mit à chanter d'une voix haute de ténor, très pure, et en français. En chantant, il regardait droit dans les yeux quelqu'un au milieu de la foule. C'était une jeune fille d'une quinzaine d'années, aux cheveux d'un brun sombre, drus et beaux, et surtout avec des yeux au regard intense, enfoncés dans leurs orbites et d'une stupéfiante couleur dorée, si lumineux et si pénétrants qu'on avait l'impression qu'elle voyait jusqu'au fond de votre coeur. La jeune fille était manifestement enceinte, en haillons, et des larmes ruisselaient sur ses joues. Il n'était pas difficile de comprendre que le condamné était le père de son futur enfant. Au moment où le cou du jeune homme se brisa, la jeune fille lança une malédiction sur le chevalier, le moine et le prêtre, décapitant alors un coquelet qu'elle lança sur le prêtre aux cheveux noirs. Le sang éclaboussa les trois hommes et la jeune fille tourna les talons et s'enfuit.

Douze ans plus tard, en 1135, dans une large vallée, aux pieds d'une colline en pente douce, Tom le bâtisseur construisait une maison auprès d'un torrent, aidé de quelques ouvriers et de son fils Alfred qui, à quatorze ans, était déjà presque aussi grand que Tom. Celui-ci en effet avait des allures de géant plein de forces, dépassant d'une tête la plupart des hommes. Depuis des années déjà, Tom passait de chantier en chantier, selon les offres qui lui étaient faites, emmenant sa famille sur les routes : sa femme Agnès, son fils Alfred et sa petite fille Martha, qui avait alors six ans. La maison que Tom construisait serait luxueuse, destinée à de futurs nobles époux. Mais le rêve de Tom était de construire une cathédrale, depuis qu'il avait assisté le maître bâtisseur d'une cathédrale une dizaine d'années auparavant.
La maison était destinée à William Hamleigh, fils de lord Percy Hamleigh, un des notables du pays et propriétaire de cette vallée et de bien d'autres. William devait occuper cette maison après son mariage avec Lady Aliena, la fille du comte de Shiring. William était un grand gaillard d'une vingtaine d'années, avec des cheveux jaunes et des yeux étroits, au caractère égoïste, emporté et cruel. Le jeune seigneur arrivait en fureur sur le chantier : sa demande en mariage a été repoussée par la fille du comte et il ordonne l'arrêt de la construction. Ce mariage annulé aura des conséquences graves dans la suite du récit.

Tom se retrouvait donc sans travail, avec ses deux enfants et sa femme Agnès qui vient de lui apprendre qu'elle était enceinte. Ils passèrent l'été au village, travaillant dans les champs, mais durent partir à l'automne, emportant un gros sac de pennies d'argent et un porc bien gras, ainsi que les outils de Tom. Celui-ci espérait encore trouver à être employé sur le chantier d'une cathédrale. Mais alors que l'hiver arrivait, Tom et sa famille étaient toujours sur les routes, et ils se firent voler le cochon. Ils rencontrèrent dans la forêt Ellen, une jeune femme éduquée vivant en hors-la-loi dans la forêt avec son fils Jack, un garçon roux et étrange de onze ans environ, et que l'on reconnaît à la description et au récit qu'elle fait de sa vie, être la femme qui avait maudit les accusateurs du voleur roux lors de la pendaison ra
contée en prologue.

Un peu plus tard, Agnès meurt au plus profond de la forêt après avoir donné naissance à un fils. Dans l'impossibilité de trouver du lait pour le bébé, Tom l'abandonne sur la tombe de sa mère, repartant avec ses deux autres enfants. Très vite cependant, il est pris de remords et tente de retrouver le nouveau-né. Mais celui-ci a été trouvé par un prêtre, Francis, qui l'a emmené dans le monastère où il se dirigeait pour rendre visite à son frère Philip qui en est le prieur. C'est le frère John, surnommé Johnny Huit Pence, un peu retardé mais plein de douceur, qui va prendre soin du bébé que Philip décide de garder au monastère. Tom et ses deux autres enfants retrouvent Ellen et Jack qui leur apprennent que le bébé est en sécurité auprès des moines. Ellen convainc Tom de laisser son fils au monastère, où il sera mieux soigné que dans sa famille à l'avenir incertain.

Mais les destins de Tom et de Philip sont destinés à se croiser. Philip va être nommé nouveau prieur du monastère de Kingsbridge. Jeune et énergique, le moine est bien décidé à reprendre la discipline et les finances de ce monastère important dont le vieux prieur, qui vient de mourir, avait abandonné la gestion. Tom et sa famille échouent à Kingsbridge, la pauvreté et la famine les menant à demander l'hospitalité des moines. Mais suite à l'incendie qui détruit la vieille cathédrale de Kingsbridge, Tom fait preuve de bon sens et d'initiative et finit par convaincre Philip de l'engager comme maître bâtisseur de la future nouvelle cathédrale...

 
Les Piliers de la Terre est une immense fresque historique écrite par Ken Follett, le célèbre écrivain gallois spécialisé dans les romans d'espionnage et les romans historiques, et publiée en français en 1990. L'écrivain a choisi la période du Moyen Age dans l'Angleterre du XIIe siècle, en proie aux guerres, à la famine et aux incessantes luttes pour le pouvoir, notamment cette guerre de succession du roi Henry 1er, entre les deux prétendants au trône : Maud, la fille aînée du roi et Stephen, son neveu.
Les Piliers des la Terre, ce sont aussi ces cathédrales érigées par les hommes de l'époque. Le roman tourne autour de la construction de celle du village fictif de Kingsbridge. L'intrigue se développe entre le naufrage du Vaisseau blanc, qui laissa la couronne d'Angleterre sans héritier mâle direct en 1120, jusqu'à l'assassinat de l'archevêque Thomas Becket dans la cathédrale de Canterbury en 1170, sous le règne du roi Henry II.

Durant le récit, trois éléments principaux initient les intrigues. Tout d'abord, la construction de la cathédrale de Kingsbridge est un enjeu économique et politique très important. Elle permet à la petite ville de Kingsbridge de gagner en importance et en prestige, ce qui attise les rancoeurs et les jalousies notamment du comté voisin de Shiring, soutenu par le retors et ambitieux évêque Waleran qui voit d'un mauvais oeil cette puissance naissante susceptible d'échapper à son contrôle et de lui faire de l'ombre. C'est l'énergie et la foi du prieur Philip, ainsi que la passion de Tom le bâtisseur puis de Jack, le fils d'Ellen, qui permettront que l'édifice voie le jour.
Ensuite, il y a les ambitions d'une famille de la petite noblesse, les Hamleigh, dont les intrigues leur permettront de mettre la main sur le comté de Shiring voisin, expulsant ses héritiers légitimes Aliena et Richard. Le refus d'Aliena d'épouser William, le fils des Hamleigh, au début du récit, engendrera une haine tenace entre les deux clans, et des drames amenés par la cruauté de William.
Enfin, il y a la guerre civile entre les deux héritiers du trône, Maud et Stephen, qui crée de multiples tensions entre les partisans de l'un ou l'autre, dont les multiples protagonistes du récit.

Une des forces du roman de Ken Follet est en effet la multitude de personnages qui interagissent dans le récit, et illustrant toutes les facettes de la société du Moyen Age. Il y a le monde monastique qui s'étend entre les simples moines vertueux et des évêques ambitieux préférant l'opulence. Il y a le monde de la noblesse, depuis la cour royale jusqu'à la petite noblesse. Et puis, il y a le peuple, les paysans, les artisans, les marchands, voire de pauvres mendiants ou des brigands. Le roman entraîne le lecteur dans la vie quotidienne de chacune de ces couches de la société de l'époque. On sent en arrière-fond l'important travail de recherche historique mené par l'auteur pour construire son univers.

Mais malgré ce contexte moyenâgeux, l'auteur parvient à donner à son récit un élan très moderne, à la fois dans le caractère des personnages, mais aussi dans un style très détaillé et une structure pleine de rebondissement, l'intrigue se renouvelant constamment, tenant le lecteur en haleine malgré les plus de mille pages.

Le roman a connu une adaptation télévisée en une mini-série de huit épisodes de 52 minutes. J'ai eu l'occasion de la voir il y a quelques années en coffret DVD, et c'est ce qui m'a fait découvrir l'univers de Ken Follet, que je n'avais pas encore lu bien que je sois amateur de romans historiques. Ayant apprécié la série, même si cela fait trop longtemps pour que j'en ai un souvenir suffisamment précis pour comparer avec le roman, je me suis enfin décidée à lire le livre. 
Les Piliers de la Terre fait aussi partie maintenant d'une trilogie, la fresque de Kingsbridge, qui se prolonge avec Un monde sans fin paru en 2008 puis Une colonne de feu paru en 2017. Ce ne sont pas des suites directes, mais les récits reprennent les ingrédients du premier opus et se déroulent aux alentours de Kingsbridge, le premier au XIVe siècle et le second au XVIe siècle. En supplément, une préquelle aux Piliers de la Terre, intitulée Le Crépuscule et l'Aube, est parue récemment en 2020, avec une action située en Angleterre à la fin du Xe siècle, époque où le pays faisait encore face à des attaques vikings courantes.
Un monde sans fin, Ken Follett, aux éditions Le Livre de Poche, 1337 pages
 

En 1327 en Angleterre, le règne du roi Edouard II s'achève avec la destitution puis la mort du souverain. Edouard II était marié depuis 1308 à Isabelle de France, la fille du puissant roi de France Philippe IV le Bel, afin de résorber les tensions fréquentes entre les couronnes d'Angleterre et de France concernant le duché d'Aquitaine. Mais les désaccords persistent régulièrement entre les deux pays et une nouvelle guerre a lieu en 1324 entre Edouard II et Charles IV le Bel, frère d'Isabelle, qui occupe alors le trône de France. Cela entraînera une rupture entre Edouard II et son épouse Isabelle, soutenue par son amant, le baron Roger Mortimer. Le parti d'Isabelle s'empare de l'administration avec le soutien de l'église, et le roi Edouard II est capturé. Il sera déclaré inapte au pouvoir et obligé d'abdiquer en faveur de son fils, le futur Edouard III. Même si Edouard III est couronné en février 1327, la situation reste instable à cause de la présence de l'ancien roi, mais celui-ci meurt inopinément en septembre 1327.

Le récit s'ouvre par un prologue, à la Toussaint 1327. Quatre enfants vont être impliqués dans les évènements et tisser les premiers liens. Gwenda, une petite fille de 8 ans, est déjà une jeune voleuse issue d'une famille misérable de paysans sans terre, entraînée par son père. Dans la foule qui se presse pour la cérémonie à la cathédrale de Kingsbridge, elle parvient à dérober la bourse de Gérald Fitzgerald, qui venait payer sa dette au prieur Anthony, sur l'injonction de Roland, comte de Shiring, son cousin au deuxième degré. Sieur Gérald assiste à la messe accompagné de son épouse, dame Maud, et de ses deux fils, Merthin, l'aîné de 11 ans et Ralph, le cadet de 10 ans. Au grand dam de son aîné, c'est Ralph qui a hérité de la force et du caractère guerrier et querelleur de ses ancêtres chevaliers. Merthin est plus fluet, mais plus sage et plus réfléchi. A côté de la famille Fitzgerald se tient aussi une petite fille d'une dizaine d'années, Caris, fille d'une riche famille de marchands de laine, une jeune fille intelligente et différente des autres enfants de son âge.
Le larcin de Gwenda a pour conséquence la ruine de la famille Fitzgerald, incapable de rembourser les dettes. Le comte Roland décide de donner les terres de sieur Gérald au prieuré en dédommagement. La famille est alors contrainte de vivre à Kingsbridge à la charge du prieuré.
Les deux frères sortent jouer dans la forêt avec un arc très habilement fabriqué par Merthin. Ils sont accompagnés par Caris, intriguée par cet arc, puis rejoints par Gwenda suivie d'un petit chien. Lors des essais avec l'arc de Merthin, Ralph révèle déjà son caractère cruel en tuant le chien de Gwenda. 
Mais les enfants sont surpris par un soudain vacarme et une course effrénée dans les bois. Ils assistent à une rixe mêlant un jeune chevalier d'une vingtaine d'années, Thomas Langley, et deux hommes d'armes, costauds et hargneux, vêtus aux couleurs de la reine Isabelle. Le chevalier parvient à vaincre les deux hommes, aidé de Ralph toujours armé de l'arc de Merthin. Caris, Gwenda et Ralph s'enfuient alors rapidement, mais Merthin reste cloué sur place, face au chevalier blessé. Merthin aide le chevalier à ligaturer sa blessure, puis à enfouir dans le sol, au pied d'un chêne, un étui contenant un rouleau de parchemin qui semble renfermer un grand secret. Thomas Langley fait jurer à Merthin de garder le secret absolu et de ne divulguer le parchemin que s'il venait à mourir. Merthin rejoint ensuite ses compagnons et tous les quatre font ensemble le serment de ne jamais dévoiler ce qu'ils ont vu.
De retour auprès de leurs parents, les garçons apprennent la ruine de leur famille. Les voyant, le comte Roland promet de prendre bientôt Ralph comme écuyer, devinant ses capacités guerrières. Devant la stature plus fluette de Merthin et apprenant qu'il avait fabriqué l'arc, il décide qu'il deviendra apprenti chez un charpentier.
Caris et Gwenda se lient d'amitié et rejoignent la maison de Caris, où elles retrouvent Edmond, le père aimant de Caris et de sa soeur aînée Alice, et Pétronille, leur redoutable tante. Ils sont rejoints par la mère Cécilia, mère supérieure du couvent de Kingsbridge, car Rose, la mère de Caris et Alice, est mourante. Suite à la mort de sa mère, Caris confie son envie de devenir médecin, mais cela est impossible à une femme.
Au prieuré, le jeune frère Godwyn, le fils unique de Pétronille, n'obtient pas du prieur Anthony, qui est aussi son oncle, qu'il finance ses études à Oxford. Pétronille décide alors de sacrifier ses biens pour la carrière de son fils et de s'installer chez son frère Edmond, suite à la mort de sa belle-soeur.
Thomas Langley, le chevalier blessé, a réussi à atteindre l'hospice du prieuré pour y être soigné. Son cas provoque une querelle entre les moines-médecins, au savoir livresque mais sacré, et Matthieu le Barbier, au savoir basé sur l'observation et non sur les écrits antiques. Le prêtre Richard, fils cadet du comte de Shiring, fait irruption. Le chevalier lui arrache l'autorisation de se cacher désormais au prieuré en y devenant moine.

Dix ans plus tard, Merthin est en apprentissage chez Elfric le Bâtisseur, qui a épousé Alice, la soeur aînée de Caris, et qui a une fille d'un premier mariage, Griselda, à peine plus jeune qu'Alice. Merthin approche de la fin de son apprentissage et est tombé profondément amoureux de Caris. Les deux amoureux se retrouvent régulièrement mais l'idée du mariage fait singulièrement peur à Caris, qui redoute de perdre sa liberté au profit d'un homme. 
Ralph est devenu l'un des écuyers du comte Roland de Shiring et désespère d'être un jour adoubé chevalier.
Godwyn, après ses études à Oxford, est maintenant sacristain du prieuré mais rêve secrètement de prendre la place du prieur, son oncle Anthony. Il est aidé par Philémon, le frère aîné de Gwenda, qui se destine au clergé. La ville de Kingsbridge appartient toujours au prieuré, qui en est le seigneur, et l'ambition démesurée de Godwyn associée à l'esprit retors de Philémon engendreront bien des difficultés.
Une partie de la cathédrale s'étant soudainement effondrée, Merthin propose à Godwyn et à frère Thomas, l'ancien chevalier qui a perdu son bras, une méthode astucieuse et économique qu'ils retiennent, au grand dam d'Elfric son patron. C'est une première mésentente entre Merthin et Elfric qui s'opposeront souvent.
Gwenda est secrètement amoureuse de Wulfric, un séduisant fils de paysan qui n'a d'yeux que pour Annet, l'aguicheuse fille du riche paysan Perkin, de Wigleigh, un village dépendant du comté de Shiring. Mais le père de Gwenda échange sa fille contre une vache avec Sim le Colporteur qui compte la prostituer à la bande des renégats de Tam l'Insaisissable. Rusée néanmoins, elle parviendra à s'enfuir.
Mais une catastrophe a lieu à Kingsbridge : le vieux pont, dont Merthin avait repéré la fragilité et les fissures, s'effondre au moment où une foule le traverse, faisant de nombreux morts et blessés. Cette catastrophe va modifier de nombreux destins...
Un monde sans fin est un long roman hsitorique écrit par Ken Follett et paru en 2007. Il fait suite aux Piliers de la Terre mais les deux récits sont indépendants, le deuxième se passant deux siècles après le premier. Les références au premier tome sont donc brèves : on apprend que les Fitzgerald descendent de Jack le bâtisseur et de Aliéna de Shiring, et la famille de Caris descendrait de Tom le bâtisseur via sa fille Martha.
Bien sûr, on retrouve le village de Kingsbridge qui a bien évolué. La cathédrale construite par Tom et Jack est toujours le coeur du village même si elle subit aussi le poids des ans. Le prieuré s'est développé et travaille maintenant en parallèle avec un couvent. Les tensions entre les intérêts du prieuré, souvent en difficulté financière, et ceux du couvent, plus aisé et mieux géré, sont un des éléments clés du récit.
Le fond historique, avec les débuts du règne d'Edouard III, est bien présent encore une fois, mais influence moins le récit que dans Les Piliers de la Terre. Ken Follett reprend cependant les ingrédients qui ont fait le succès du premier récit : une multitude de personnages qui interagissent les uns avec les autres et une description très détaillée de tous les niveaux d'une société du Moyen Age. Comme dans le premier opus, on retrouve des caractères féminins forts, des hommes sages et d'autres cruels, des moines pieux et d'autres dévorés par l'ambition, des marchands aux fortunes ou caractères variés, des paysans soumis à l'autorité de leurs seigneurs et des brigands sans foi ni loi.
Le récit met aussi en avant la constante confrontation entre des idées nouvelles amenées par les uns et le souci des autres de conserver l'ordre établi. C'est notamment le cas lorsque les personnages sont confrontés à une terrible épidémie de peste.
Il est impossible également de ne pas voir des parallèles entre les deux récits. Chacun des deux romans est dominé par un couple au destin tourmenté, Jack et Aliéna pour les Piliers de la Terre, Merthin et Caris pour Un monde sans fin. Les caractères sont semblables : Jack et Merthin sont deux hommes sages et posés, qui se révéleront d'intelligents bâtisseurs. Aliéna et Caris sont deux figures féminines fortes et indépendantes, presque trop modernes par rapport à la société dans laquelle elles vivent. La cruauté de Ralph rappelle celle de William Hamleigh. L'ambition de Godwyn fait écho à celle de l'évêque Waleran...
Le roman est assez long mais les multiples rebondissements tiennent néanmoins le lecteur en haleine. Je dirais quand même qu'il est un peu en dessous des Piliers de la Terre, par une trame historique un peu moins présente et par des personnages parfois un peu caricaturaux dans leurs excès, même si cela reste un récit tout à fait captivant.
Une colonne de feu, Ken Follett, aux éditions Le Livre de Poche, 983 pages


En 1558 en Angleterre, c'est la fin du règne de Marie Tudor. Elle est la première reine régnante d'Angleterre et d'Irlande. Fille du roi Henri VIII et de Catherine d'Aragon, elle a d'abord été écartée de la succession au trône, mais devient reine en 1553 après le court règne de son jeune demi-frère Edouard VI. A 38 ans, en 1554, elle se marie à Philipppe d'Espagne, elle est ainsi reine consort d'Espagne, de Sicile et de Naples, duchesse de Bourgogne, de Milan, de Brabant, de Luxembourg et de Limbourg, ainsi que comtesse de Flandre et de Hainaut et comtesse palatine de Bourgogne. Le mariage a uniquement des raisons politiques ou stratégiques. Malgré des rumeurs de grossesse, le couple n'engendre pas d'enfant, Philippe étant en plus souvent parti mener la guerre contre les français tandis que Marie reste en Angleterre.
Le règne de Marie a été marqué par ses tentatives visant à rebâtir le catholicisme, Marie étant une fervente catholique, après les règnes protestants de son demi-frère et de son père ayant mené à la rupture avec Rome et le Pape. Avec l'aide de son mari Philippe, Marie renoue avec le Pape et entame des persécutions religieuses contre les réformateurs protestants et autres dissidents. Au total, 284 personnes ont été exécutées sous le règne de Marie, la plupart par le feu, ce qui lui a valu le surnom de Marie la Sanglante. Ces exécutions cruelles par le bûcher exacerbent les sentiments anti-catholiques et anti-espagnols dans la population.
Vu l'absence d'héritier, c'est la jeune soeur de Marie, Elisabeth, qui est la prétendante au trône. Elisabeth a été élevée dans la religion protestante, même si elle se conforme en apparence à la foi catholique pendant le règne de Marie, mais elle prône surtout une plus grande tolérance religieuse, affirmant que chacun doit pouvoir choisir librement ses convictions. Mais la jeune reine catholique d'Ecosse Marie Stuart, cousine d'Elisabeth, peut aussi revendiquer la couronne d'Angleterre. Cependant elle est fiancée au dauphin de France, avec qui l'Espagne est en guerre. Les tensions entre l'Ecosse et l'Angleterre ont fait que Marie Stuart a été envoyée et éduquée à la cour de France où se prépare son mariage avec le futur François II, de deux ans son cadet.

C'est dans cette période troublée où catholiques et protestants se déchirent que s'ouvre le récit. En 1558, le jeune Ned Willard revient à Kingsbridge, sa ville natale, après avoir passé un an à Calais, un port sous domination anglaise situé sur la côte nord de la France. Ned a dix-huit ans, il retourne chez sa mère mais ses pensées sont emplies de l'image de Margery, la pétillante et intelligente fille de sir Reginald Fitzgerald, le maire de Kingsbridge, dont il est tombé profondément amoureux peu avant son départ pour Calais. Mais en un an, une jeune fille de quatorze ans, quinze maintenant, peut profondément changer. Après un bref passage à l'inaltérable cathédrale de Kingsbridge, Ned se précipite vers la demeure des Fitzgerald. Au lieu de Margery, il y trouve Rollo, son frère aîné, également de quatre ans plus âgé que Ned. Il apprend alors que Margery est promise à Bart, le vicomte de Shiring. Mais Margery ne souhaite pas épouser Bart, qu'elle considère comme un rustre sans éducation, et est aussi amoureuse de Ned. Néanmoins, sa famille souhaite évidemment cette union pour avoir le prestige de voir leur fille épouser un comte et donc entrer dans l'intimité de la noblesse.
De plus, les familles Willard et Fitzgerald se retrouvent dans des camps opposés face à la répression menée par Marie Tudor. Bien que tolérants et ouverts, les Willard tendent vers les pensées protestantes et s'offusquent des mesures cruelles imposées par la reine, tandis que les Fitzgerald sont de fervents catholiques, soutenant la politique de Marie Tudor. A Kingsbridge, les protestants forment une communauté semi-clandestine que tout le monde identifie sans qu'elle soit ouvertement reconnue. Ils assistent aux offices catholiques, comme la loi les y oblige, mais ils ne manquent pas une occasion de s'élever contre les chansons paillardes ou les robes trop décolletées, et s'affichent dans des tenues austères noires ou grises.
A Chateau Neuf, la demeure du comte de Shiring, Ned fait la connaissance de sir William Cecil, l'intendant de la princesse Elisabeth, la prétendante au trône. Celui-ci est venu avertir le comte de Shiring que la reine Marie Tudor, malgré divers symptômes, n'est toujours pas enceinte. Il souhaite donc préparer la succession et trouver des soutiens pour la princesse Elisabeth. Mais les fervents catholiques que sont le comte de Shiring et Rollo Fitzgerald craignent le couronnement d'Elisabeth la protestante et évoquent l'autre prétendante, la catholique Marie Stuart. Ned Willard, quant à lui, met l'accent sur le danger d'une souveraine fiancée au futur roi de France. Apprenant qu'il a séjourné à Calais, William Cecil demande à s'entretenir avec Ned Willard. En effet, Calais est assiégée par les français menés par le duc François de Guise, dit le Balafré. Commerçants et possédant de nombreuses possessions à Calais, Ned et sa mère, Alice, risquent de perdre de nombreux avoirs. William Cecil est néanmoins à la recherche d'un assistant dans son travail politique auprès de la princesse Elisabeth et les capacités prometteuses du jeune Ned ne lui ont pas échappé. Cependant, celui-ci souhaite soutenir sa mère dans l'entreprise familiale, alors que son frère aîné, Barney, est à Séville, en Espagne, pour s'initier à d'autres apects de l'affaire familiale.

Pendant ce temps, à Paris, le jeune Pierre Aumande gagne sa vie en soulageant certains parisiens de leur excédent d'argent. Etudiant à la Sorbonne, il raconte à ses condisciples que ses parents, établis en Champagne, lui accordent une généreuse rente. Malgré des origines douteuses, Pierre s'est arrangé pour se lier à l'élite, fils d'aristocrates ou de riches négociants. Pierre tente d'affirmer sa parenté avec la puissante famille de Guise, alors qu'il n'est qu'un bâtard, et ses ambitions finissent par le mettre en présence de François, le duc de Guise, dit le Balafré, et de Charles, son cadet, le cardinal de Lorraine. L'intelligence et la rouerie de Pierre lui permettent de convaincre ces puissants personnages qu'il peut leur être utile afin de démasquer les protestants de Paris. Pour y arriver, sa première approche sera de séduire la jolie Sylvie Palot, la fille d'un imprimeur, soupçonné de vendre des versions françaises de la Bible aux protestants de Paris. C'est aussi à ce moment que Marie Stuart, la reine des Ecossais, apprend l'imminence de son mariage avec le dauphin François, futur roi de France. Avec son amie intime Alison McKay, elles imaginent cette union avec le jeune homme malingre et timoré qu'est François...
Une colonne de feu est le troisième roman historique écrit par Ken Follett pour sa Fresque de Kingsbridge, il est paru en 2017. Il se lit à nouveau totalement indépendament des deux précédents, avec des références encore plus ténues aux deux premiers volumes. On y retrouve surtout les lieux emblématiques de la ville de Kingsbridge. La cathédrale, bien entretenue, s'élève toujours altière et solide, symbole de pierre de la ville vivante, avec l'ange de pierre qui veille sur la ville de puis le sommet de la flèche, la légende racontant qu'il a été sculpté avec les traits de Caris, celle qui aurait sauvé la ville au moment de la peste noire et fondé l'hôpital qui porte son nom, sur l'île dite aux Lépreux. Par contre, le prieuré de Kingsbridge, qui se dressait du côté sud de la cathédrale, tombe en ruine depuis que le roi Henri VIII avait dissous les monastères suite à sa réforme protestante. Et grâce au pont de Merthin, la ville, autrefois limitée au sud par le fleuve, s'est développée en un vaste faubourg de l'autre côté du cours d'eau. Voilà pour les liens avec les volumes précédents.

Contrairement à Un monde sans fin où le fond historique influence moins les destins des personnages, Une colonne de feu est principalement alimenté par les évènements historiques importants de la deuxième moitié du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle. Ken Follett décrit les faits historiques connus de cette période mouvementée de l'histoire tout en les ajustant dans la mesure nécessaire pour que ses personnages de fiction y jouent un rôle significatif. L'ensemble du récit est dominé par les tensions ou les affrontements entre catholiques et protestants surtout en Angleterre et en France, mais aussi dans le reste de l'Europe. Le récit se centre aussi essentiellement sur le règne d'Elisabeth 1re en Angleterre, décrivant les évènements qui ont précédé et permis son accession au trône, et se terminant par quelques éléments concernant sa succesion, le roi Jacques VI d'Ecosse devenant le roi Jacques 1er d'Angleterre en 1603, inaugurant ainsi la dynastie des Stuart.
D'autres moments historiques importants émaillent le récit. On assiste ainsi à la mort du roi Henri II de France dans un accident de joute, évènement traumatisant qui a préparé le terrain pour des décennies de guerre de religion françaises. Cela mènera notamment au massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, au cours duquel des foules catholiques ont massacré des milliers de protestants à Paris. L'auteur, tout en attribuant la planification du massacre au retors Pierre Aumande, met bien en évidence les diverses tensions qui ont mené à ce tragique évènement : les déchirements de la noblesse française entre catholiques et protestants, la guerre d'influence entre la puissante maison de Guise, dont Pierre Aumande serait un agent influent, et le clan des Châtillon-Montmorency, l'hostilité de la population parisienne à la politique royale d'apaisement qui avait mené à réintégrer l'amiral de Coligny, chef du parti protestant, au conseil royal, et enfin les tensions internationales entre les royaumes de France et d'Espagne, avivée par l'insurrection anti-espagnole aux Pays-Bas. Ce massacre fait aussi suite au mariage controversé entre Marguerite de Valois, dite Margot, fille du roi Henri II, avec le prince protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, ainsi qu'à une tentative d'assassinat contre l'amiral de Coligny fomenté par la famille de Guise qui veut ainsi venger la mort du duc François de Guise assassiné neuf ans auparavant sur l'ordre, selon eux, de Coligny.
On suit aussi le destin de Marie Stuart, soutenue par la famille de Guise dont elle est parente. Mariée au dauphin François en 1558, elle devient reine de France à la mort de Henri II, mais François II meurt un an après son père. Elle décide alors de retourner en Ecosse, où elle avait été nommée reine à la mort de son père Jacques V, alors qu'elle n'avait que 6 jours. Mais reine catholique dans un pays devenu protestant, Marie est traitée avec défiance. Un premier remariage lui donne un fils, le futur Jacques VI. Un second remariage précipite sa chute : elle est emprisonnée et abdique en faveur de son fils, alors âgé d'un an. Elle s'évade et tente de retrouver son trône, en cherchant l'appui de sa cousine, la reine Elisabeth d'Angleterre. Mais cette dernière la perçoit comme une menace puisque Marie est considérée comme l'héritière légitime du trône d'Angleterre par les catholiques. Dans le roman, c'est Ned Willard, devenu d'abord l'assistant de William Cecil puis travaillant pour les services secrets de la reine Elisabeth, qui sera impliqué dans la gestion des divers emprisonnements de Marie puis dans la recherche de preuves de complot contre Elisabeth 1re, ce qui mènera à l'exécution de Marie en 1587.
Peu après, on assiste à la tentative de l'Invincible Armada, par laquelle le roi Philippe II d'Espagne a cherché à conquérir l'Angleterre. Ken Follett attribue à nouveau à Ned Willard deux importantes contributions à la victoire anglaise. Le dernier évènement historique important du récit est la Conspiration des Poudres en 1605, dans laquelle des conspirateurs catholiques ont tenté de faire sauter le Parlement d'Angleterre pour tuer d'un seul coup le roi Jacques 1er, récemment intronisé, ses deux fils et ses principaux ministres et conseillers. Ken Follett attribue à l'antagoniste du livre, le fervent catholique Rollo Fitzgerald, le rôle d'initiateur du complot, et à nouveau à Ned Willard le soin de le déjouer.

On le voit, la recherche historique de l'auteur a cette fois été très ambitieuse. On retrouve dans le roman les ingrédients qui ont fait le succès des deux premiers volumes : une multiplicité de personnages qui interagissent, des lieux variés puisqu'on passe de l'Angleterre à la France, de l'Espagne aux pays-Bas, et de multiples rebondissements du récit. Les caractères des personnages sont plus nuancés, chacun essayant au mieux de trouver sa place dans cette époque révolutionnaire et mouvementée. Ken Follett réussit à décrire les réactions et les décisions de chaque camp de manière neutre, sans prise de position. La question protestante est de plus traitée différemment selon le pays dans lequel on se trouve, et l'auteur passe régulièrement de l'un à l'autre. C'est donc à la fois une lecture passionnante et instructive.
 
 



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